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les cruautés de l’amour

— Le lendemain, je revins, je vis le banc et à terre la branche d’hydrangée que tu avais laissé tomber en m’apercevant. Je passai mon bras à travers la palissade pour essayer de prendre cette branche, je ne pus y parvenir. Alors, j’enjambai la barrière et je sautai dans le jardin. C’est à ce moment que j’entendis un petit cri et que je m’enfuis plein d’épouvante. Quand je passai, le troisième jour, tu étais au milieu de l’allée. Nous échangeâmes un regard, puis un sourire, t’en souviens-tu ? et tu te cachas dans les branches.

— La vie commença ce jour-là, elle finit aujourd’hui, murmura Lon-Foo.

— Depuis, nous nous sommes vus tous les jours, sans souci de la neige ou du soleil, nous parlant par-dessus la barrière de bambou, à travers les branches, ne vivant que pour cet instant où nos mains s’entrelaçaient, où nos regards ne se quittaient pas, où nous échangions nos plus secrètes pensées. Voici que les feuilles tombent des arbres, c’est l’automne. Il y a un an que nous nous aimons.

— Laisse-moi mourir sur ton cœur après cette année de joie, je ne pourrai supporter ton absence. Que ferai-je demain, et les jours suivants ? Chaque feuille de mon jardin me rappellera le passé ; chaque pieu de la palissade sera un poignard pour mon cœur.