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LE CAPITAINE FRACASSE.

dans les moments désespérés. J’aurais dû sortir après la première pièce, revêtir un costume de ville et attendre mon inconnue à la porte du théâtre, qu’elle restât ou non pour voir les Rodomontades du capitaine Fracasse. Ah ! animal, ah ! faquin ! une grande dame, car c’en était une à coup sûr, te fait les yeux doux et se pâme sous son masque à te voir jouer, et tu n’as pas l’esprit de courir après elle ? Tu mérites d’avoir toute ta vie pour maîtresses des caillettes, des gaupes, des Gothon, des Maritornes aux mains rendues calleuses par le balai. »

Léandre en était là de sa harangue intérieure, quand une espèce de petit page, vêtu d’une livrée brune et sans galons, coiffé d’un chapeau rabattu sur les yeux, se dressa subitement devant lui comme une apparition, et lui dit d’une voix au timbre enfantin qu’il cherchait à grossir pour la déguiser :

« Est-ce vous qui êtes monsieur Léandre, celui qui, tout à l’heure, faisait le berger Lygdamon dans la pièce de M. de Scudéry ?

— C’est moi-même, répondit Léandre. Que voulez-vous de moi et que puis-je faire pour vous servir ?

— Oh ! merci, dit le page, je ne désire rien de vous ; je suis seulement chargé de vous répéter une phrase, si toutefois vous êtes disposé à l’entendre, une phrase de la part d’une dame masquée.

— De la part d’une dame masquée ? s’écria Léandre, oh ! dites-la tout de suite ! je meurs d’impatience !

— La voici mot pour mot, dit le page : « Si Lygdamon est aussi courageux qu’il est galant, il n’a qu’à