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COUPS D’ÉPÉE, COUPS DE BÂTON, ETC.

ses prouesses sur le pré, mais bien habile eût été le fer capable de pénétrer dans le petit cercle où sa garde l’enfermait.

Content de lui et de son épée qu’il posa près de son chevet, Sigognac ne tarda pas à s’endormir dans une sécurité parfaite, comme s’il n’avait pas chargé le marquis de Bruyères de provoquer le puissant duc de Vallombreuse.

Isabelle ne put fermer l’œil : elle comprenait que Sigognac n’en resterait pas là, et elle redoutait pour son ami les suites de la querelle, mais il ne lui vint pas à l’idée de s’interposer entre les combattants. Les affaires d’honneur étaient en ce temps choses sacrées, que les femmes ne se fussent point avisées d’interrompre ou de gêner par leurs pleurnicheries.

Sur les neuf heures, le marquis, déjà tout habillé, alla trouver Sigognac dans sa chambre, pour régler avec lui les conditions du combat, et le Baron voulut qu’il prît, en cas d’incrédulité ou de refus de la part du Duc, les vieilles chartes, les antiques parchemins auxquels pendaient de larges sceaux de cire sur queue de soie, les diplômes cassés à tous les plis et paraphés de signatures royales dont l’encre avait jauni, l’arbre généalogique aux rameaux touffus chargés de cartels, toutes les pièces enfin qui attestaient la noblesse des Sigognac. Ces illustres paperasses, dont l’écriture gothiquement indéchiffrable eût demandé des lunettes et la science d’un bénédictin, étaient enveloppées pieusement d’un morceau de taffetas cramoisi dont la couleur passée avait pris une teinte pisseuse. On eût dit