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COUPS D’ÉPÉE, COUPS DE BÂTON, ETC.

la troupe de comédiens. Pour la première fois de sa vie il rencontrait une résistance ! Il avait ordonné une chose qui ne s’était pas faite ! Un baladin le bravait ! Des gens à lui s’étaient enfuis rossés par un capitan de théâtre ! Son orgueil se révoltait à cette idée, et il en éprouvait comme une sorte de stupeur. Cela était donc possible que quelqu’un lui tînt tête ? Puis il songeait que revêtu d’un costume magnifique, constellé de diamants, paré de toutes ses grâces, dans tout l’éclat de son rang et de sa beauté, il n’avait pu obtenir un regard favorable d’une fille de rien, d’une actrice ambulante, d’une poupée exposée chaque soir aux sifflets du premier croquant, lui que les princesses accueillaient le sourire aux lèvres, pour qui les duchesses se pâmaient d’amour, et qui n’avait jamais rencontré de cruelle. Il en grinçait des dents de rage, et sa main crispée froissait le splendide pourpoint de satin blanc qu’il n’avait pas quitté encore, comme s’il eût voulu le punir de l’avoir si mal secondé en ses projets de séduction.

Enfin il se leva brusquement, fit un signe d’adieu à son ami Vidalinc, et se retira, sans toucher au souper qu’on venait de lui servir, dans sa chambre à coucher où le Sommeil ne vint pas fermer les rideaux de damas de son lit.

Vidalinc, à qui l’idée de Sérafine tenait joyeusement compagnie, ne s’aperçut pas qu’il soupait seul et mangea de fort bon appétit. Bercé de fantaisies voluptueuses où figurait toujours la jeune comédienne, il dormit tout d’un somme jusqu’au lendemain.