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LE CAPITAINE FRACASSE.

— C’est ce que nous verrons, monsieur le duc, répliqua Sigognac. Peut-être bien, ayant moins de fierté, vous battrai-je de mes propres mains.

— Je ne réponds pas à un masque, fit le duc en prenant le bras de Vidalinc qui s’était rapproché.

— Je vous montrerai mon visage, duc, en lieu et en temps opportun, reprit Sigognac, et je crois qu’il vous sera plus désagréable encore que mon faux nez. Mais brisons là. Aussi bien j’entends la sonnette qui tinte, et je courrais risque en tardant davantage de manquer mon entrée. »

Les comédiens admiraient son courage, mais, connaissant la qualité du Baron, ne s’en étonnaient pas comme les autres spectateurs de cette scène, interdits d’une telle audace. L’émotion d’Isabelle avait été si vive que le fard lui en était tombé, et que Zerbine, voyant la pâleur mortelle qui les couvrait, avait été obligée de lui mettre un pied de rouge sur les joues. À peine pouvait-elle se tenir sur ses jambes, et si la Soubrette ne lui eût soutenu le coude, elle aurait piqué du nez sur les planches en entrant en scène. Être l’occasion d’une querelle était profondément désagréable à la douce, bonne et modeste Isabelle, qui ne redoutait rien tant que le bruit et l’éclat qui se font autour d’une femme, la réputation y perdant toujours ; d’ailleurs, quoique résolue à ne lui point céder, elle aimait tendrement Sigognac, et la pensée d’un guet-apens, ou tout au moins d’un duel, à quoi il était exposé, la troublait plus qu’on ne saurait dire.

Malgré cet incident, la répétition marcha son train,