Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/324

Cette page a été validée par deux contributeurs.
316
LE CAPITAINE FRACASSE.

mine de se lever pour passer sur le théâtre, car le Tyran, avec sa voix de taureau, avait déjà crié plusieurs : Mesdemoiselles, êtes-vous prêtes ?

« Permettez, mademoiselle, dit le duc ; vous oubliez de mettre une assassine. »

Et Vallombreuse, plongeant un doigt dans la boîte à mouches posée sur la toilette, en retira une petite étoile de taffetas noir.

« Souffrez, continua-t-il, que je vous la pose ; ici, tout près du sein ; elle en relèvera la blancheur et paraîtra comme un grain de beauté naturel. »

L’action accompagna le discours si vite, qu’Isabelle, effarouchée de cette outrecuidance, eut à peine le temps de se renverser le dos sur sa chaise pour éviter l’insolent contact ; mais le duc n’était pas de ceux qui s’intimidaient aisément, et son doigt moucheté allait effleurer la gorge de la jeune comédienne lorsqu’une main de fer s’abattit sur son bras et le maintint comme dans un étau.

Le duc de Vallombreuse, transporté de rage, retourna la tête et vit le capitaine Fracasse campé dans une pose qui ne sentait point son poltron de comédie.

« Monsieur le duc, dit Fracasse en tenant toujours le poignet de Vallombreuse, mademoiselle pose ses mouches elle-même. Elle n’a besoin des services de personne. »

Cela dit, il lâcha le bras du jeune seigneur, dont le premier mouvement fut de chercher la garde de son épée. En ce moment Vallombreuse, malgré sa beauté, avait une tête plus horrible et formidable que celle