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LE CAPITAINE FRACASSE.

çus des autres ou sans valeur à leurs yeux. La jeune femme hâblait le castillan comme toutes les personnes un peu instruites à cette époque, et le sens alarmant de l’inscription ne lui échappait point.

Scapin était parti pour le bourg revêtu de son beau costume zébré de rose et de blanc, sa grande fraise dûment tuyautée et godronnée, la toque sur les yeux, la cape au coin de l’épaule, l’air superbe et triomphant. Il marchait repoussant sa caisse du genou avec un mouvement automatique et rhythmé qui sentait fort son soldat ; en effet, Scapin l’avait été devant qu’il se fût rendu comédien. Quand il eut gagné la place de l’Église, déjà escorté de quelques polissons qu’émerveillait son accoutrement bizarre, il assura sa toque, se piéta et, attaquant la peau d’âne de ses baguettes, il produisit un roulement si bref, si magistral, si impératif, qu’il eût éveillé les morts aussi bien que la trompette du jugement dernier. Jugez de l’effet qu’il fit sur les vivants. Toutes les fenêtres et les portes s’ouvrirent comme mues par un même ressort. Des têtes embéguinées s’y montrèrent plongeant des regards curieusement effarés sur la place. Un second roulement, pétillant comme une mousquetade et grave comme un tonnerre, vida les maisons, où ne demeurèrent que les malades, les grabataires et femmes en gésine. Au bout de quelques minutes, tout le village réuni formait un large cercle autour de Scapin. Pour mieux fasciner son public, le rusé drôle exécuta sur sa caisse plusieurs batteries et contre-batteries d’une façon si vive, si juste et si dextre que les baguettes disparaissaient dans la