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OÙ LE ROMAN JUSTIFIE SON TITRE.

preintes, les unes grandes, les autres petites, qui aboutissaient à la charrette, puis s’en éloignaient.

« Il paraît, dit le Tyran, que le chariot de Thespis a reçu cette nuit des visites de plus d’un genre. Ô bienheureux accident qui nous a forcés d’interrompre notre odyssée comique, je ne saurais trop te bénir ! Grâce à toi, nous avons évité les loups à deux pieds et à quatre pattes, non moins dangereux, sinon davantage. Quel régal eût été pour eux la chair tendre de ces poulettes, Isabelle et Sérafine, sans compter notre vieille peau coriace ! »

Pendant que le Tyran syllogisait à part lui, le valet de Bellombre dégageait le chariot et y attelait le cheval qu’il avait amené, quoique l’animal renâclât de peur à l’aspect terrifiant pour lui du squelette et à l’odeur fauve du loup dont le sang tachait la neige.

La charrette fut remisée dans la cour de la ferme, sous un hangar. Il n’en manquait rien, et même il s’y trouvait quelque chose de plus : un petit couteau, de ceux qu’on fabrique à Albaceite, tombé de la poche de Chiquita pendant son court sommeil, et qui portait sur sa lame aiguë cette menaçante devise en espagnol :


Cuando esta vivora pica,
No hay remedio en la botica.


Cette trouvaille mystérieuse intrigua beaucoup le Tyran et fit tomber en rêverie Isabelle, qui était un peu superstitieuse et tirait volontiers des présages, bons ou funestes, d’après ces petits incidents inaper-