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LE CAPITAINE FRACASSE.

Je saisis l’occasion de cet héritage, et je me retirai dans ma gloire, ne voulant point imiter ces obstinations qui se font chasser des tréteaux à grand renfort de trognons de pomme, d’écorces d’orange et d’œufs durs.

— Tu fis sagement, Bellombre, fit Blazius, bien que ta retraite ait été prématurée et que tu eusses pu rester dix ans encore au théâtre. »

En effet, Bellombre, quoique hâlé par l’air de la compagne, avait gardé fort grande mine ; ses yeux accoutumés à exprimer les passions s’animaient et se remplissaient de lumière au feu de l’entretien. Ses narines palpitaient larges et bien coupées. Ses lèvres en s’entr’ouvrant laissaient voir une denture dont une coquette se fût fait honneur. Son menton frappé d’une fossette se relevait avec fierté ; une chevelure abondante où brillaient quelques rares filets d’argent se jouait en boucles épaisses jusque sur ses épaules. C’était encore un fort bel homme.

Blazius et le Tyran continuèrent à boire en compagnie de Bellombre. Les comédiennes se retirèrent en une chambre où les valets avaient fait un grand feu. Sigognac, Léandre et Scapin se couchèrent en un coin de l’étable sur quelques fourchées de paille fraîche, bien chaudement garantis du froid par l’haleine des bêtes et le poil des couvertures à chevaux.

Pendant que les uns boivent et que les autres dorment, retournons vers la charrette abandonnée, et voyons un peu ce qu’elle devient.

Le cheval gisait toujours entre ses brancards. Seulement ses jambes s’étaient roidies comme des piquets