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LE CAPITAINE FRACASSE.

« Sans la rencontre heureuse que nous avons faite d’un ancien et brave camarade, il nous en pendait autant cette nuit au bout du nez, dit Blazius. On nous eût trouvés gelés comme matelots dans les ténèbres et frimas cimmériens.

— C’eût été dommage, reprit galamment Bellombre en lançant une œillade à Isabelle et à Sérafine ; mais ces jeunes déesses eussent sans nul doute fait fondre la neige et dégelé la nature aux feux de leurs prunelles.

— Vous attribuez trop de pouvoir à nos yeux, répondit Sérafine ; ils eussent été incapables même d’échauffer un cœur en cette obscurité lugubre et glaciale. Les larmes du froid y eussent éteint les flammes de l’amour. »

Tout en soupant, Blazius informa Bellombre de l’état où se trouvait la troupe. Il n’en parut nullement surpris.

« La fortune théâtrale est encore plus femme et plus capricieuse que la fortune mondaine, répondit-il ; sa roue tourne si vite qu’à peine s’y peut-elle tenir debout quelques instants. Mais si elle en tombe souvent, elle y remonte d’un pied adroitement léger et retrouve bientôt son équilibre. Demain, avec des chevaux de labour, j’enverrai chercher votre chariot et nous dresserons un théâtre dans la grange. Il y a, non loin de la ferme, un assez gros bourg qui nous fournira de spectateurs assez. Si la représentation ne suffit pas, au fond de ma vieille bourse de cuir dorment quelques pistoles de meilleur aloi que les jetons de comédie et, par