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LE CAPITAINE FRACASSE.
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guisé de la sorte, je serai reconnu par le malheur. Donc je succède à Matamore et prends pour nom de guerre : le capitaine Fracasse !

— Vive le capitaine Fracasse ! s’écria toute la troupe en signe d’acceptation, que les applaudissements le suivent partout ! »

Cette résolution, qui d’abord étonna les comédiens, n’était pas si subite qu’elle en avait l’air. Sigognac la méditait depuis longtemps déjà. Il rougissait d’être le parasite de ces honnêtes baladins qui partageaient si généreusement avec lui leurs propres ressources, sans lui faire jamais sentir qu’il fût importun, et il jugeait moins indigne d’un gentilhomme de monter sur les planches pour gagner bravement sa part que de l’accepter en paresseux, comme aumône ou sportule. La pensée de retourner à Sigognac s’était bien présentée à lui, mais il l’avait repoussée comme lâche et vergogneuse. Ce n’est pas au temps de la déroute que le soldat doit se retirer. D’ailleurs, eût-il pu s’en aller, son amour pour Isabelle l’eût retenu, et puis, quoiqu’il n’eût point l’esprit facile aux chimères, il entrevoyait dans de vagues perspectives toutes sortes d’aventures surprenantes, de revirements et de coups de fortune auxquels il eût fallu renoncer en se confinant de nouveau dans sa gentilhommière.

Les choses ainsi réglées, on attela le cheval au chariot et l’on se remit en route. Ce bon repas avait ranimé la troupe, et tous, à l’exception de la Duègne et de Sérafine, qui ne marchaient pas volontiers, suivaient la voiture à pied, soulageant d’autant la pauvre rosse.