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EFFET DE NEIGE.

cons de poil, délavé les membres inférieurs et fait avec la crotte un affreux ciment. Rien n’était plus lamentable à voir, et le cheval que monte la Mort dans l’Apocalypse eût paru une bête fringante propre à parader aux carrousels à côté de ce pitoyable et désastreux animal dont les épaules semblaient se disjoindre à chaque pas, et qui, d’un œil douloureux, avait l’air d’invoquer comme une grâce le coup d’assommoir de l’équarrisseur. La température commençant à devenir froide, il marchait au milieu de la fumée qu’exhalaient ses flancs et ses naseaux.

Il n’y avait dans le chariot que les trois femmes. Les hommes allaient à pied pour ne pas surcharger le triste animal, qu’il ne leur était pas difficile de suivre et même de devancer. Tous, n’ayant à exprimer que des pensées désagréables, gardaient le silence et marchaient isolés, s’enveloppant de leur cape du mieux qu’ils pouvaient.

Sigognac, presque découragé, se demandait s’il n’eût pas mieux fait de rester au castel délabré de ses pères, sauf à y mourir de faim à côté de son blason fruste dans le silence et la solitude, que de courir ainsi les hasards des chemins avec des bohèmes.

Il songeait au brave Pierre, à Bayard, à Miraut et à Béelzébuth, les fidèles compagnons de son ennui. Son cœur se serrait quoi qu’il fît, et il lui montait de la poitrine à la gorge ce spasme nerveux qui d’ordinaire se résout en larmes ; mais un regard jeté sur Isabelle, pelotonnée dans sa mante et assise sur le devant de la charrette, lui raffermissait le courage.