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LE CAPITAINE FRACASSE.

comme volcans d’amour, et disent de ces choses à ravir en extase les plus froides vertus ; leurs discours me chatouillent agréablement le cœur, et il me semble parfois que c’est à moi qu’ils s’adressent. Souvent même les rigueurs de la dame m’impatientent, et je la gourmande à part moi de faire ainsi languir et sécher sur pied un si parfait amant.

— C’est que Madame a l’âme bonne, répliqua Jeanne, et ne se plaît point à voir souffrir. Pour moi, je suis d’humeur plus féroce, et cela me divertirait de voir quelqu’un mourir d’amour tout de bon. Les belles phrases ne me persuadent point.

— Il te faut du positif, Jeanne, et tu as l’esprit un peu enfoncé dans la matière. Tu ne lis pas comme moi les romans et pièces de théâtre. Ne me disais-tu pas tout à l’heure que le galant de la troupe était joli garçon ?

— Madame la marquise peut en juger elle-même, dit la suivante, debout près de la fenêtre : le voilà précisément qui traverse la cour, sans doute pour se rendre à l’orangerie, où l’on dresse le théâtre. »

La marquise s’approcha de la croisée et vit le Léandre marchant à petits pas, d’un air songeur, comme quelqu’un absorbé par une passion profonde. À tout hasard, il affectait cette attitude mélancolique dont les femmes se préoccupent, devinant quelque peine de cœur à consoler. Arrivé sous le balcon, il leva la tête avec un certain mouvement, qui donna à ses yeux un lumineux particulier, fixa sur la croisée un regard long, triste et chargé de désespérance de