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CHEZ MONSIEUR LE MARQUIS.

— Plusieurs messagers sont partis à cheval dans diverses directions. La compagnie ne saurait manquer d’être nombreuse : on viendra de tous les châteaux des environs. Les occasions de divertissement sont si rares en ce pays !

— C’est vrai, dit la marquise en soupirant ; on y vit dans une terrible frugalité de plaisirs. Et ces comédiens, les as-tu vus, Jeanne ? En est-il parmi eux qui soient jeunes, de belle mine et de prestance galante ?

— Je ne saurais trop dire à madame ; ces gens-là ont plutôt des masques que des visages : la céruse, le fard, les perruques leur donnent de l’éclat aux chandelles et les font paraître tout autres qu’ils ne sont. Cependant il m’a semblé qu’il y en avait un point trop déchiré et qui prend des airs de cavalier ; il a de belles dents et la jambe assez bien faite.

— Ce doit être l’amoureux, Jeanne, dit la marquise ; on choisit pour cela le plus joli garçon de la troupe, car il serait malséant de débiter des cajoleries avec un nez en trompette et de se jeter sur des genoux cagneux pour faire une déclaration.

— Cela serait en effet fort vilain, dit en riant la suivante. Les maris sont comme ils peuvent, mais les amants doivent être sans défauts.

— Aussi j’aime ces galants de comédie, toujours fleuris de langage, experts à pousser les beaux sentiments, qui se pâment aux pieds d’une inhumaine, attestent le ciel, maudissent la fortune, tirent leur épée pour s’en percer la poitrine, jettent feux et flammes