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CHEZ MONSIEUR LE MARQUIS.

poignard de fer-blanc rentrant dans le manche, des écheveaux de fil rouge destinés à simuler le sang des blessures, une fiole à poison, une urne à contenir des cendres et autres accessoires indispensables aux dénoûments tragiques.

Un chariot comique contient tout un monde. En effet, le théâtre n’est-il pas la vie en raccourci, le véritable microcosme que cherchent les philosophes en leurs rêvasseries hermétiques ? Ne renferme-t-il pas dans son cercle l’ensemble des choses et les diverses fortunes humaines représentées au vif par fictions congruantes ? Ces tas de vieilles hardes usées, poussiéreuses, tachées d’huile et de suif, passementées de faux or rougi, ces ordres de chevalerie en paillon et cailloux du Rhin, ces épées à l’antique au fourreau de cuivre, à la lame de fer émoussé, ces casques et diadèmes de forme grégeoise ou romaine ne sont-ils pas comme la friperie de l’humanité où se viennent revêtir de costumes pour revivre un moment, à la lueur des chandelles, les héros des temps qui ne sont plus ? Un esprit ravalé et bourgeoisement prosaïque n’eût fait qu’un cas fort médiocre de ces pauvres richesses, de ces misérables trésors dont le poète se contente pour habiller sa fantaisie et qui lui suffisent avec l’illusion des lumières jointe au prestige de la langue des dieux à enchanter les plus difficiles spectateurs.

Les valets du marquis de Bruyères, en laquais de bonne maison aussi insolents que des maîtres, touchaient du bout des doigts et avec un air de mépris