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LE CAPITAINE FRACASSE.

je mettrais en déroute tout un ost de Sarrasins, je combattrais parmi des tourbillons de flamme et de fumée des orques, des endriagues et des dragons, je traverserais des forêts magiques, pleines d’enchantements, je descendrais aux enfers comme Énéas et sans rameau d’or. Aux rayons de vos beaux yeux tout me deviendrait facile, car votre présence ou votre pensée seulement m’infuse quelque chose de surhumain. »

Cette rhétorique était peut-être un peu exagérée, et, comme dirait Longin, asiatiquement hyperbolique, mais elle était sincère. Isabelle ne douta pas un instant que Sigognac n’accomplît en son honneur toutes ces fabuleuses prouesses, dignes d’Amadis des Gaules, d’Esplandion et de Florimart d’Hyrcanie. Elle avait raison ; le sentiment le plus vrai dictait ces emphases au Baron, d’heure en heure plus épris. L’amour ne trouve jamais pour s’exprimer de termes assez forts. Sérafine, qui avait entendu les phrases de Sigognac, ne put s’empêcher de sourire, car toute jeune femme trouve volontiers ridicules les protestations d’amour qu’on adresse à une autre, et qui, en changeant de route, lui sembleraient les plus naturelles du monde. Elle eut un instant l’idée d’essayer le pouvoir de ses charmes et de disputer Sigognac à son amie ; mais cette velléité dura peu. Sans être précisément intéressée, Sérafine se disait que la beauté était un diamant qui devait être enchâssé dans l’or. Elle possédait le diamant, mais l’or manquait, et le Baron était si désastreusement râpé qu’il ne pouvait fournir ni la monture, ni même l’écrin. La grande coquette rengaina donc l’œillade préparée,