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BRIGANDS POUR LES OISEAUX.

nuit surpris par le jour. Le bandit craignait que les comédiens, qui étaient en nombre, ne lui fissent un mauvais parti ou ne le livrassent à la justice ; mais la farce des mannequins les avait mis en belle humeur, et ils s’esclaffaient de rire comme un cent de mouches. Le rire n’est point cruel de sa nature ; il distingue l’homme de la bête, et il est, suivant Homérus, l’apanage des dieux immortels et bienheureux qui rient olympiennement tout leur saoul pendant les loisirs de l’éternité.

Aussi le Tyran, qui était bonasse de sa nature, desserra-t-il les doigts, et tout en maintenant le bandit, lui dit-il de sa grosse voix tragique, dont il gardait parfois les intonations dans le langage familier :

« Drôle, tu as fait peur à ces dames, et pour cela tu mériterais d’être pendu haut et court ; mais si, comme je le crois, elles te font grâce, car ce sont de bonnes âmes, je ne te conduirai pas au prévôt. Le métier d’argousin ne me ragoûte pas ; je ne tiens pas à pourvoir la potence de gibier. D’ailleurs ton stratagème est assez picaresque et comique. C’est un bon tour pour extorquer des pistoles aux bourgeois poltrons. Comme acteur expert aux ruses et subterfuges, je l’apprécie, et ton imaginative m’induit à l’indulgence. Tu n’es point platement et bestialement voleur, et ce serait dommage de t’interrompre en une si belle carrière.

— Hélas ! répondit Agostin, je n’ai pas le choix d’une autre, et suis plus à plaindre que vous ne pensez ; il ne reste plus que moi de ma troupe aussi bien composée naguère que la vôtre ; le bourreau m’a pris