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BRIGANDS POUR LES OISEAUX.

rapprochant de la sapinière, Sigognac crut démêler sur le bord de l’escarpement une rangée d’êtres bizarres plantés comme en embuscade et dont les premiers rayons du soleil levant ébauchaient vaguement les formes ; mais, à leur parfaite immobilité, il les prit pour de vieilles souches et se prit à rire en lui-même de son inquiétude, et il n’éveilla pas les comédiens comme il en avait d’abord eu l’idée.

Le chariot fit encore quelques tours de roue. Le point brillant sur lequel Sigognac tenait toujours les yeux fixés se déplaça. Un long jet de feu sillonna un flot de fumée blanchâtre ; une forte détonation se fit entendre, et une balle s’aplatit sous le joug des bœufs, qui se jetèrent brusquement de côté, entraînant le chariot qu’un tas de sable retint heureusement au bord du fossé.

À la détonation et à la secousse, toute la troupe s’éveilla en sursaut ; les jeunes femmes se mirent à pousser des cris aigus. La vieille seule, faite aux aventures, garda le silence et prudemment glissa deux ou trois doublons serrés dans sa ceinture entre son bas et la semelle de son soulier.

Debout, à la tête du char d’où les comédiens s’efforçaient de sortir, Agostin, sa cape de Valence roulée sur son bras, sa navaja au poing, criait d’une voix tonnante :

« La bourse ou la vie ! toute résistance est inutile ; au moindre signe de rébellion ma troupe va vous arquebuser ! »

Pendant que le bandit posait son ultimatum de