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LE CAPITAINE FRACASSE.

quoiqu’il ne lui eût pas dit un mot d’amour, ne s’y était pas trompée.

Le matin commençait à grisonner. Une étroite bande de lumière pâle s’allongeait au bord de la plaine, dessinant en noir d’une manière distincte, malgré l’éloignement, les bruyères frissonnantes et même la pointe des herbes. Quelques flaques d’eau, égratignées par le rayon, brillaient çà et là comme les morceaux d’une glace brisée. De légers bruits s’éveillaient, et des fumées montaient dans l’air tranquille, révélant à de grandes distances la reprise de l’activité humaine au milieu de ce désert. Sur la zone lumineuse, dont la teinte tournait au rose, une forme bizarre se profilait, qui de loin ressemblait à un compas tenu par un géomètre invisible et mesurant la lande. C’était un berger monté sur ses échasses, marchant à pas de faucheux à travers les marécages et les sables.

Ce spectacle n’était pas nouveau pour Sigognac, et il y faisait peu d’attention ; mais, si fort qu’il fût enfoncé dans sa rêverie, il ne put s’empêcher d’être préoccupé par un petit point brillant qui scintillait sous l’ombre encore fort noire du bouquet de sapins où nous avons laissé Agostin et Chiquita. Ce ne pouvait être une luciole ; la saison où l’amour illumine les vers luisants de son phosphore était passée depuis plusieurs mois. Était-ce l’œil d’un oiseau de nuit borgne ? car il n’y avait qu’un point lumineux. Cette supposition ne satisfaisait pas Sigognac ; on eût dit le pétillement d’une mèche d’arquebuse allumée.

Cependant le chariot marchait toujours, et, en se