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être été enlevé et mis dans l’impossibilité de correspondre avec le roi. Toutes ces pensées emplissent tumultueusement l’esprit de Fidé-Yori ; la dernière supposition le fait pâlir ; puis, par une de ces bizarreries de la pensée, fréquentes dans les situations extrêmes, il se souvient subitement d’une chanson qu’il chantait lorsqu’il était enfant, pour se familiariser avec les sons principaux de la langue japonaise. Machinalement il la récite :

« — La couleur, le parfum s’évanouissent. Qu’y a-t-il dans ce monde de permanent ? Le jour passé a sombré dans les abîmes du néant. C’était comme le reflet d’un rêve. — Son absence n’a pas causé le plus léger trouble. »

— Voilà ce que j’apprenais étant enfant, se dit le roi, et aujourd’hui je recule et j’hésite devant la possibilité de mourir.

Honteux de sa faiblesse, il rendit les rênes à son cheval.

Mais alors un grand bruit se fit entendre de l’autre côté du pont et, tournant brusquement l’angle du chemin, des chevaux emportés, la crinière éparse, les yeux sanglants, apparurent, traînant après eux un chariot chargé de troncs d’arbres ; ils se précipitèrent vers le pont, et leurs sabots furieux sonnèrent, avec un redoublement de bruit, sur le plancher de bois.

À la vue de ces chevaux, venant vers elle, toute la suite de Fidé-Yori poussa des cris d’épouvante ; les porteurs abandonnèrent les norimonos, les femmes en sortirent terrifiées, et réunissant leur ample robe, s’enfuirent en toute hâte. Les coureurs, qui déjà posaient le pied sur le pont, firent volte-face et Fidé-Yori, instinctivement, se rejeta de côté.

Mais, tout à coup, comme une corde trop tendue qui