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tendre. Bien des choses se sont passées depuis que tu as quitté Kioto. Sache, ami, que le jour, dont le souvenir me charme encore malgré moi, le jour où tu m’as sauvée et où nous nous sommes parlé longuement, assis au pied d’un buisson, un homme nous épiait.

— C’est impossible ! s’écria le prince épouvanté.

— C’est certain. Celui qui m’avait enlevée, au lieu de fuir, est revenu et nous a écoutés. C’était un espion de Hiéyas. Cet homme perfide a su profiter du secret que son serviteur avait surpris, il l’a révélé au mikado. D’abord le fils des dieux n’y a pas cru, il était encore plein de colère contre l’infâme qui ensanglante le pays. Mais, par d’habiles manœuvres, Hiéyas parvint à changer les dispositions du mikado et à gagner sa confiance. On lui donna pour preuve de notre entente criminelle ton dévouement et ta conduite héroïque lors de l’attaque de Kioto. Un jour le fils des dieux me fit demander, et lorsque je fus en sa présence il me tendit un écrit dans lequel notre conversation était rapportée, mais dénaturée et rendue infâme. Le mensonge n’a jamais souillé mes lèvres. J’avouai fièrement que je t’avais donné mon âme, mais que, tant que je vivrais, je n’aurais pas à rougir de mes actions. Mais après cet aveu je ne pouvais plus rester au Daïri. La grande prêtresse de Ten-Sio-Daï-Tsin était morte depuis quelque temps. C’était la sœur de mon époux. Je demandai à remplir son sacerdoce, désirant finir ma vie dans la retraite. Le mikado m’envoya aussitôt le titre que je désirais, et quelques jours plus tard il épousa la petite-fille de Hiéyas, une enfant de quinze ans.

— Ô douleur s’écria le prince en tombant aux genoux de la reine, à cause de moi tu es descendue de ton trône ; tu as quitté le palais de tel ancêtres, pour t’agenouiller, solitaire et grave, à l’ombre d’un tem-