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trop longtemps ici, allons boire, plus haut, l’eau de la cascade d’Otooua, laquelle, a ce que prétendent les bonzes, donne la prudence et la sagesse.

— N’y a-t-il pas une fontaine dont l’eau aurait la vertu de rendre fou et insouciant ? dit Simabara ; celle-là j’y tremperais plus volontiers mes lèvres.

— Je ne vois pas ce que tu y gagnerais, dit une princesse en riant ; si la fontaine dont tu parles existe, tu as certainement goûté de son eau.

S’il en était une qui donnât l’oubli de la vie et l’illusion d’un rêve sans réveil, dit le prince de Nagato de celle-là j je m’enivrerais.

— Je me contenterais à ta place de celle qui donne la prudence, dit Fatkoura, qui n’avait pas encore échangé un mot avec Nagato.

Cette voix amère et ironique fit tressaillir douloureusement le prince. Il ne répondit rien et se hâta de rejoindre la reine, qui gravissait un escalier de pierre façonné dans l’escarpement de la montagne.

Cet escalier, bordé d’arbustes dont les branches entrelacées forment au-dessus de lui un réseau de verdure, conduit à la cascade d’Otooua. Déjà on entend le bruit de l’eau qui sourd du rocher par trois fissures et tombe d’assez haut dans un petit étang.

La Kisaki arrive la première ; elle s’agenouille dans l’herbe et trempe ses mains dans l’eau pure.

Un jeune bonze accourt qui tient une tasse d’or, mais la souveraine l’éloigne d’un geste, et, avançant les lèvres, elle aspire la gorgée d’eau contenue à grand-peine dans le creux de sa main, puis elle se relève et secoue ses doigts quelques gouttes tombent sur sa robe.

— À présent, dit-elle en riant, Bouddha lui-même n’a pas plus de sagesse que moi.