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LA CHANSON DE ROLAND

Car il ne veut pas se désarmer cette nuit.
Il a vêtu son blanc haubert, bordé d’orfroi ;
Il a lacé son heaume gemmé d’or ;
Il a ceint Joyeuse, cette épée qui n’eut jamais sa pareille,
Et qui chaque jour change trente fois de clarté...
Nous pourrions vous parler de la lance
Dont Notre-Seigneur fut percé sur la croix :
Eh bien ! Charles, grâce à Dieu, en possède le fer
Et l’a fait enchâsser dans le pommeau doré de son épée.
À cause de cet honneur, à cause de sa bonté,
On lui a donné le nom de Joyeuse ;
Et ce n’est pas aux barons français de l’oublier,
Puisqu’ils ont tiré de ce nom leur cri de Montjoie ;
Et c’est pourquoi aucune nation ne leur peut tenir tête.


CLXXXV


La nuit est claire, la lune est brillante,
Charles est couché ; mais il a grande douleur en pensant à Roland,
Et le souvenir d’Olivier lui pèse cruellement,
Avec celui des douze Pairs et de tous les Français
Qu’il a laissés rouges de sang et morts à Roncevaux.
Il ne peut se retenir d’en pleurer, d’en sangloter.
Il prie Dieu de se faire le libérateur de ces âmes...
Mais le Roi est fatigué, car ses peines sont bien grandes ;
Il n’en peut plus, et, lui aussi, finit par s’endormir.
Par tous les prés on ne voit que Français endormis.
Pas un cheval n’est de force à se tenir debout,
Et celui qui veut de l’herbe la prend sans se lever.
Ah ! connaître la douleur, c’est beaucoup savoir.