Page:Gautier - La Chanson de Roland - 1.djvu/391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
175
LA CHANSON DE ROLAND

Puis il lui met le bliaut tout en pièces,
Et se sert des morceaux pour bander ses larges plaies.
Il le serre alors étroitement contre son sein
Et le couche doucement, doucement, sur l’herbe verte.
Ensuite, d’une voix très-douce, Roland lui fait cette prière :
« Ah ! gentilhomme, donnez-m’en votre congé :
« Nos compagnons, ceux que nous aimions tant,
« Sont tous morts ; mais nous ne devons point les délaisser ainsi.
« Écoutez : je vais aller chercher tous leurs corps ;
« Puis je les déposerai l’un près de l’autre à la rangette devant vous.
« — Allez, dit l’Archevêque, et revenez bientôt.
« Grâce à Dieu, le champ nous reste, à vous et à moi ! »


CLXIII


Roland s’en va. Seul, tout seul, il parcourt le champ de bataille ;
Il fouille la montagne, il fouille la vallée ;
Il y trouve les corps de Gerer et de Gerin, son compagnon ;
Il y trouve Bérenger et Othon ;
Il y trouve Anséis et Samson ;
Il y trouve Gérard le vieux de Roussillon.
L’un après l’autre, le baron les a pris ;
Avec eux il est revenu vers l’Archevêque,
Et les a déposés en rang aux genoux de Turpin.
L’Archevêque ne peut se tenir d’en pleurer ;
Il élève sa main, il leur donne sa bénédiction :
« Seigneurs, leur dit-il, mal vous en prit.
« Que Dieu le glorieux ait toutes vos âmes !
« Qu’en Paradis il les mette en saintes fleurs !
« Ma propre mort me rend trop angoisseux :
« Plus ne verrai le grand empereur. »