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LA CHANSON DE ROLAND


CXXXV


Le comte Roland, à grande peine, à grande angoisse
Et très-douloureusement sonne son olifant.
De sa bouche jaillit le sang vermeil,
De son front la tempe est rompue ;
Mais de son cor le son alla si loin !
Charles l’entend, qui passe aux défilés,
Naimes l’entend, les Français l’écoutent,
Et le Roi dit : « C’est le cor de Roland ;
« Il n’en sonna jamais que pendant une bataille.
« — Il n’y a pas de bataille, dit Ganelon.
« Vous êtes vieux, tout blanc et tout fleuri ;
« Ces paroles vous font ressembler à un enfant.
« D’ailleurs vous connaissez le grand orgueil de Roland :
« C’est merveille que Dieu le souffre si longtemps.
« Déjà il prit Nobles sans votre ordre.
« Les Sarrasins sortirent de la ville,
« Et livrèrent bataille à Roland, le bon vassal ;
« Ensuite il fit laver à grande eau le pré ensanglanté,
« Afin qu’il n’y parût plus rien.
« Pour un lièvre, d’ailleurs, Roland corne toute la journée.
« Avec ses pairs sans doute il est en train de rire ;
« Puis il n’est point d’homme qui osât l’attaquer.
« Chevauchez, Sire ; pourquoi faire halte ?
« Le Grand Pays est très-loin devant nous. »


CXXXVI


Le comte Roland a la bouche sanglante ;
De son front la tempe est brisée.
Il sonne l’olifant à grande douleur, à grande angoisse.