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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

trine si élevée. Le xviiie encore bien moins, et l’antipode de Leibnitz fut Voltaire.

Voltaire ! Parmi tous ceux qui ont tenu une plume, entre tous les hommes qui ont écrit ou pensé, je n’en connais pas un, non, pas un seul qui ait été moins apte à parler sainement de l’Épopée et de la poésie primitive. Il n’a même pas eu la notion de ces choses augustes. La façon dont il a parlé de la Bible atteste éloquemment que, dans toute l’histoire du monde, il n’a jamais compris que le xviiie siècle. Son grand critérium historique, c’est le plus ou moins de ressemblance que les autres siècles offrent avec le sien. C’est ainsi qu’il a jugé l’Ancien Testament. Mais qui ne comprend pas la Bible ne comprendra jamais Roland. Aussi Voltaire se réjouit-il de déclarer que, de toutes les nations, la France est la moins poétique. Erreur monstrueuse[1], et qui nous fait courir je ne sais quel feu d’indignation dans les veines. Quant à nos poëmes du moyen âge, Voltaire n’est même pas de force à en supposer un instant l’existence, et tel est le « Roi » du xviiie siècle. Contre une telle influence, que pouvaient les savants ? Ils étaient pleins de bonne volonté, mais comptaient si peu de lecteurs. Quelques pages de la Bibliothèque historique du P. Lelong sont consacrées, en 1719, à une bibliographie bien imparfaite de nos vieilles Chansons. Dans un Mémoire de l’Académie des inscriptions, Galland[2] étudie, en 1736, le Charlemagne de Girart d’Amiens, dont il ne reconnaît d’ailleurs ni le caractère, ni le sujet, ni le titre. Il en cite des vers, mais les écorche effroyablement. J’aime mieux M. de Lamoignon, racontant, trente ans avant Galland, son voyage à la vallée et à la chapelle de Roncevaux[3]. Le monument de Saint-Faron est de nouveau décrit et critiqué par D. Toussaint Duplessis, en son Histoire de l’Église de Meaux[4]. Toutefois, ce ne sont là que des

  1. V., dans ses Œuvres, son Essai sur la poésie épique.
  2. « Discours sur quelques anciens poëtes et sur quelques romans gaulois peu connus » dans les Mémoires de l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres, t. II, 1736, p. 673 et ss.
  3. Relation manuscrite des Pyrénées et de Roncevaux, 15 décembre 1707.
  4. Paris, chez Gandouin, en 1731, in-4o, t. I, pp. 75, 76.