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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

plus ravissants et des plus poétiques spectacles du monde.

Vous savez quelle chose hideuse c’est qu’un danseur ordinaire ; un grand dadais avec un long cou rouge gonné de muscles, un rire stéréotypé, inamovible comme un juge ; des yeux sans regard, qui rappellent les yeux d’émail des poupées à ressort de gros mollets de suisse de paroisse, des brancards de cabriolet en façon de bras, et puis de grands mouvements anguleux, les coudes et les pieds en équerre, des mines d’Adonis et d’Apollon, des ronds de jambes, des pirouettes et autres gestes de pantins mécaniques. Rien n’est plus horrible, et je ne sais vraiment pas comment l’on peut se retenir de leur envoyer, en guise de la pluie de fleurs usitée à l’Opéra, une grêle de pommes crues et d’œufs cuits.

Le sonor Camprubi est aussi agréable à voir danser qu’une femme, et cependant il conserve à ses poses un air héroïque et cavalier qui n’a rien de la niaise afféterie des danseurs français. Et les danseuses, quelle triste population c’est une laideur, une misère, une pauvreté de formes à faire pitié elles sont maigres comme des lézards à jeun depuis six mois et quand on les regarde sans lorgnette au plus fort de leur danse, leur buste, à peine perceptible dans le frêle tourbillon de leurs bras et de leurs jambes, leur donne l’apparence d’a-