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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

que et de couleur locale dont notre époque est affligée, s’est bientôt jointe la curiosité naturelle qui pousse aux voyages, et dès lors les émigrations ont été générales. Tout le monde est parti pour aller se draper en Child-Harold aux lieux célèbres, les uns en patache, les autres en voiture de poste et beaucoup à pied.

Il s’est levé à cette occasion une nuée de touristes de bas étage en proie aux monomanies artistes, qui s’est abattue sur les campagnes comme une plaie d’Égypte, et dont il serait aussi urgent de purger les routes royales que des malfaiteurs et des vagabonds. Des garçons perruquiers en tour de France, des poètes de département et des peintres en bâtiment se sont imaginé qu’il suffisait de s’enjuponner d’une blouse, de manger du fromage aux hôtelleries et de n’avoir pas un sou dans sa poche pour voyager en artistes. On rencontre sur toutes les routes de pauvres jeunes gens qui se sont crus obligés, par amour de l’art, de quitter leur foyer et d’aller braver au loin les plus cruelles extrémités, avec un album littéralement blanc sous le bras. L’autorité n’y veille pas assez ; ce titre d’artiste, à la façon dont on l’entend, peut servir à déguiser les désordres et les professions les plus funestes, et l’on devrait dûment mener à la prison la plus proche les piétons mal vêtus qui n’en ont pas d’autre. Cela serait souvent un bien dans tous les cas. À défaut de la gendar-