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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

premier gendarme tué, c’est lui qui l’a tué, car il a une vieille dent contre le gendarme, quoiqu’il l’appelle mon officier et se dise son protégé ; il a un bonnet de police très renversé en arrière, des anneaux aux oreilles, des souliers éculés, un tablier profondément dentelé ; il se balance sur ses reins avec un léger mouvement de cancan ; il a les coudes en dehors et figure avec ses mains une des passes de la savate où il est maître juré ; sa face est ramassée, pétulante et cynique, et la protubérance batailleuse est très développée chez lui ; il est légèrement artiste et charge les murs d’une foule de croquis anacréontiques. Fouillez dans sa poche, vous y trouverez un morceau de crayon rouge avec quoi il écrit derrière tous les corps de garde : Credeville voleur. Vous devinez sans doute ce qu’il dit, à l’expression de sa figure ; il appelle son camarade : Ohé Titi ! et l’invite à aller voir guillotiner.

Rentrons à la maison, et montons chez M. Joly.

Il a l’air pensif et soucieux, ce bon M. Joly ; il tient d’une main sa tabatière et de l’autre une prise de tabac qu’il a fortement comprimée entre le pouce et l’index. Il est cinq heures, et la tourte commandée chez le pâtissier du coin n’est pas encore arrivée. Les manches de sa chemise sont retroussées jusqu’au coude, car il a fallu déménager la chambre à coucher de Mme Joly pour en faire un salon ; c’est lui qui a démonté le lit et emporté la commode ; aussi