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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

noüs de sa beauté. Ils posent devant vous avec complaisance, quillés sur leurs petites jambes, avançant hors du cadre leur ventre de tonneau à bière, avec toute la fatuité d’Odry étalant les grâces de son nez ; ils paraissent vous dire, en ôtant de leurs bouches édentées leur vieille pipe noire et culottée : N’est-ce pas, que vous n’avez jamais rien vu de plus affreux que nous ? Les petits enfants mêmes s’appliquent avec le sérieux le plus risible à être aussi laids que leurs pères et ils y réussissent souvent. Quant aux femmes, il fallait être Flamand de Flandre, ivre de bière et de tabac, comme dit le faux marquis de Belverana au souper de la princesse Negroni, pour appeler de ce nom l’entassement de tabliers sales et de jupons rapetassés qui se remuent au grincement du violon du ménétrier chancelant, hissé sur une barrique, personnage obligé de toutes les kermesses. Mais en revanche, quel accent de nature, quelle couleur, quelle vérité !

C’étaient là les trois diamants de l’écrin, les plus beaux, les plus incontestables tableaux de la collection. Ce qui ne veut pas dire que les autres ne fussent pas authentiques et précieux. Le portrait historié de la reine Christine de Bourbon est d’un grand goût et d’une ravissante tournure : œil noir illuminé d’une étincelante paillette, chevelure abondante et vigoureuse, lèvre rouge, fier sourire, mains royales, poignets minces, bras faits au tour, une belle femme,