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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

Quelles belles têtes ! Nez d’aigle, regards d’aigle, bouches pincées et serrées, pleines de secrets qu’elles ne diront pas ; fronts un peu dégarnis de cheveux, accrochant la lumière sur leurs protubérances intelligentes ; physionomies narquoises et futées ; faux airs de bonhomie, gravité légèrement gourmée, gestes rares, maintien officiel, vêtement sobre et discret de couleur, comme il convient à des diplomates ; que tout cela est miraculeusement compris et rendu ! — Comment donc Terburg, le peintre des petits pages et des maîtres de musique, a-t-il pu pénétrer si facilement dans les secrets de la chancellerie et entrer si avant dans l’intimité de tous ces personnages graves et mystérieux qui passent une moitié de leur vie à en cacher l’autre, et auprès de qui Harpocrate lui-même, le dieu silencieux qui cachette sa bouche avec son doigt, est un bavard effréné et un faiseur de commérages ? Il a copié tout simplement et fait des portraits c’est ainsi que procèdent les grands artistes ; leur puissante intuition de la forme qui enveloppe toute pensée les rend, à leur insu, les plus fins analystes qui soient. Une petite ride près de la bouche, une imperceptible patte d’oie au coin de l’œil, la brisure d’une ligne, une inflexion dans l’arc d’un sourcil, un coup d’ongle soucieux sur la peau lisse d’un front, le méplat brillanté et le croquant d’un cartilage, une place dans la joue plus ou moins veinée et frappée de rouge ; tous ces dé-