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UN FEUILLETON A FAIRE.

lèvres de ses madones que s’il vivait encore, le divin jeune homme ! Il n’en est pas ainsi du comédien.

Le comédien est en même temps le peintre et la toile, sa figure est le champ où il dessine. Il réalise sa création sur lui-même ; ses couleurs ne sont que du fard, il esquisse avec un geste et n’a, au lieu d’une touche qui reste, qu’une intonation qui s’en va. Aussi Hamlet, Oreste, Othello descendent avec lui dans la tombe. Il n’y a point, hélas de galerie où l’on puisse aller admirer son œuvre après sa mort.

La parole est ailée, le geste ne laisse pas de trace. Comment conserver à la postérité ce froncement de sourcils tout à fait olympien, qui faisait trembler jusqu’aux moucheurs de chandelles et aux banquettes elles-mêmes ; dans quel esprit-de-vin confire ce son de voix si majestueusement caverneux ? Il faudrait pour cela avoir la recette des mots de gueule gelés dont parle maître François Rabelais, et je pense qu’elle est aussi positivement perdue que la recette de l’eau de Jouvence.

Il y a sans doute je ne sais où, quelque part, très haut et très loin, une région vague, un lieu de refuge quelconque où va ce qui ne laisse ni corps ni fantôme, ce qui n’est rien, ayant été, comme le son, comme le geste, comme la beauté des femmes qui sont devenues laides, et les bonnes intentions qui n’ont pas été remplies.

Un feuilleton bien fait pourrait être cet endroit-