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tout désir mauvais, de toute idée profane, inconnue des hommes, vierge comme la neige où l’aigle même n’a pu imprimer le cachet de ses serres, tant la montagne qu’elle revêt élève haut la tête dans l’air pur et glacial, il suffit du caprice dépravé d’un Grec-Lydien pour me faire perdre en un instant, sans que je sois coupable, le fruit de longues années de précautions et de réserve. Innocente et déshonorée, cachée à tous et pourtant publique… voilà le sort que Candaule m’a fait !… Qui me dit que Gygès, à l’heure qu’il est, n’est pas en train de discourir de mes charmes avec quelques soldats sur le seuil du palais ? ― Ô honte ! ô infamie ! deux hommes m’ont vue nue et jouissent en même temps de la douce lumière du soleil ! ― En quoi Nyssia diffère-t-elle à présent de l’hétaïre la plus effrontée, de la courtisane la plus vile ? ― Ce corps que j’avais tâché de rendre digne d’être la demeure d’une âme pure et noble, sert de sujet de conversation ; on en parle comme de quelque idole lascive venue de Sicyone ou de Corinthe ; on l’approuve ou on le blâme : l’épaule est parfaite, le bras est charmant, peut-être un peu mince, que sais-je ? Tout le sang de mon cœur monte à mes joues à une pareille pensée. Ô beauté, don funeste des dieux ! que ne suis-je la femme de quelque pauvre chevrier des montagnes, de mœurs naïves et simples ! il n’eût pas aposté au seuil de sa cabane un che-