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souffle haletant ; il se coucha, pour trouver un peu de fraîcheur, sur le gazon humide des pleurs de la nuit, et, ayant entendu dans l’ombre, à travers l’herbe drue et le cresson, la respiration argentine d’une naïade, il se traîna vers la source, plongea ses mains et ses bras dans le cristal du bassin, y baigna sa figure et but quelques gorgées d’eau, afin de calmer l’ardeur qui le dévorait. Qui l’eût vu, aux faibles lueurs des étoiles, ainsi penché désespérément sur cette fontaine, l’eût pris pour Narcisse poursuivant son reflet ; mais ce n’était pas de lui-même assurément qu’était amoureux Gygès.

La rapide apparition de Nyssia avait ébloui ses yeux comme l’angle aigu d’un éclair ; il la voyait flotter devant lui dans un tourbillon lumineux, et il comprenait que jamais de sa vie il ne pourrait chasser cette image. Son amour avait grandi subitement ; la fleur en avait éclaté comme ces plantes qui s’ouvrent avec un coup de tonnerre. Chercher à dominer sa passion était désormais une chose impossible. Autant eût valu conseiller aux vagues empourprées que Poseidon soulève de son trident de se tenir tranquilles dans leur lit de sable et de ne pas écumer contre les rochers du rivage. ― Gygès n’était plus maître de lui, et il éprouvait ce désespoir morne d’un homme monté sur un char qui voit ses chevaux, effarés, insensibles au frein, courir avec l’essor d’un galop furieux vers un précipice