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d’eux ne retournerait la tête, ou, s’il le faisait, il vous demanderait votre nom, tant il vous aurait profondément oubliées. Ils iraient se précipiter sous les roues d’argent de son char pour avoir la volupté d’être écrasés par elle, comme ces dévots de l’Indus qui pavent de leurs corps le chemin de leur idole. Et vous, déesses qu’a jugées Pâris-Alexandre, si Nyssia avait concouru, aucune de vous n’eût emporté la pomme, pas même Aphrodite, malgré son ceste et la promesse de faire aimer le berger-arbitre par la plus belle femme du monde !…

« Penser qu’une semblable beauté n’est pas immortelle, hélas ! et que les ans altéreront ces lignes divines, cet admirable hymne de formes, ce poème dont les strophes sont des contours, et que nul au monde n’a lu et ne doit lire que moi ; être seul dépositaire d’un si splendide trésor ! ― Au moins, si je savais, à l’aide des lignes et des couleurs, imitant le jeu de l’ombre et de la lumière, fixer sur le bois un reflet de ce visage céleste ; si le marbre n’était pas rebelle à mon ciseau, comme dans la veine la plus pure du Paros ou du Pentélique je taillerais un simulacre de ce corps charmant, qui ferait tomber de leurs autels les vaines effigies des déesses ! Et plus tard, lorsque sous le limon des déluges, sous la poussière des villes dissoutes, les hommes des âges futurs rencontreraient quelque morceau de cette ombre pétrifiée de Nyssia, ils se diraient :