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moment, s’était gravée dans son cœur en traits profonds comme ceux que les sculpteurs tracent sur l’ivoire avec un poinçon rougi au feu. Il avait fait, sans pouvoir en venir à bout, tous ses efforts pour l’effacer, car l’amour qu’il éprouvait pour Nyssia lui causait une secrète terreur. ― La perfection portée à ce point est toujours inquiétante, et les femmes si semblables aux déesses ne peuvent qu’être fatales aux faibles mortels ; elles sont créées pour les adultères célestes, et les hommes, même les plus courageux, ne se hasardent qu’en tremblant dans de pareilles amours. ― Aussi aucun espoir n’avait-il germé dans l’âme de Gygès, accablé et découragé d’avance par le sentiment de l’impossible. Avant d’adresser la parole à Nyssia, il eût voulu dépouiller le ciel de sa robe d’étoiles, ôter à Phœbus sa couronne de rayons, oubliant que les femmes ne se donnent qu’à ceux qui ne les méritent pas, et que le moyen de s’en faire aimer, c’est d’agir avec elles comme si l’on désirait en être haï.

Depuis ce temps, les roses de la joie ne fleurirent plus sur ses joues : le jour, il était triste et morne, et semblait marcher seul dans son rêve, comme un mortel qui a vu une divinité ; la nuit, il était obsédé de songes qui lui montraient Nyssia assise à côté de lui, sur des coussins de pourpre, entre les griffons d’or de l’estrade royale.