Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/510

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mystère, la réputation de Nyssia n’avait pas tardé à se répandre dans toute la Lydie et à y devenir populaire, à ce point qu’elle était parvenue jusqu’à Candaule, bien que les rois soient ordinairement les gens les plus mal informés de leur royaume, et vivent comme les dieux dans une espèce de nuage qui leur dérobe la connaissance des choses terrestres.

Les Eupatrides de Sardes, qui espéraient que le jeune roi pourrait peut-être prendre femme dans leur famille, les hétaires d’Athènes, de Samos, de Milet et de Chypre, les belles esclaves venues des bords de l’Indus, les blondes filles amenées à grands frais du fond des brouillards cimmériens, n’avaient garde de prononcer devant Candaule un seul mot qui, de près ou de loin, pût avoir rapport à Nyssia. Les plus braves, en fait de beauté, reculaient à l’idée d’un combat qu’elles pressentaient devoir être inégal.

Et cependant personne à Sardes, et même en Lydie, n’avait vu cette redoutable adversaire ; personne, excepté un seul être, qui depuis cette rencontre avait tenu sur ce sujet ses lèvres aussi fermées que si Harpocrate, le dieu du silence, les eût scellées de son doigt : ― c’était Gygès, chef des gardes de Candaule. Un jour, Gygès, plein de projets et d’ambitions vagues, errait sur les collines de Bactres, où son maître l’avait envoyé pour une mission importante et secrète ; il songeait aux enivrements de la toute-puis-