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a tué son amour. Tout ce que j’ai pu faire pour l’attendrir a été inutile. Elle ne m’a jamais répondu que ces mots : « Apporte-moi la chaîne d’or de Bacchide de Samos, et je te rendrai mes bonnes grâces. Ne reviens pas sans elle, car je dirais à mes esclaves scythes de lancer sur toi mes molosses de Laconie, et je te ferais dévorer. » Voilà ce que répliquait à mes prières les plus vives, à mes adorations les plus prosternées, l’implacable Plangon. Moi, j’ai dit : « Si je ne puis jouir de mes amours, comme autrefois, je me tuerai. »

Et, en disant ces mots, l’enfant tira du pli de sa tunique un poignard à manche d’agate dont il fit mine de se frapper. Bacchide pâlit et lui saisit le bras au moment où la pointe effilée de la lame allait atteindre la peau douce et polie de l’enfant.

Elle lui desserra la main et jeta le poignard dans la mer, sur laquelle s’ouvrait la fenêtre de sa chambre ; puis, entourant le corps de Ctésias avec ses beaux bras potelés, elle lui dit :

« Lumière de mes yeux, tu reverras ta Plangon ; quoique ton récit m’ait fait bien souffrir, je te pardonne ; Éros est plus fort que la volonté des simples mortels, et nul ne peut commander à son cœur. Je te donne ma chaîne, porte-la à ta maîtresse irritée ; sois heureux avec elle, et pense quelquefois à Bacchide de Samos, que tu avais juré d’aimer toujours. »