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tiède et moite, enfin plus belle que jamais et dans un état parfait de santé.

« Je ne mourrai pas ! je ne mourrai pas ! dit-elle à moitié folle de joie et en se pendant à mon cou ; je pourrai t’aimer encore longtemps. Ma vie est dans la tienne, et tout ce qui est moi vient de toi. Quelques gouttes de ton riche et noble sang, plus précieux et plus efficace que tous les élixirs du monde, m’ont rendu l’existence. »

Cette scène me préoccupa longtemps et m’inspira d’étranges doutes à l’endroit de Clarimonde, et le soir même, lorsque le sommeil m’eut ramené à mon presbytère, je vis l’abbé Sérapion plus grave et plus soucieux que jamais. Il me regarda attentivement et me dit : « Non content de perdre votre âme, vous voulez aussi perdre votre corps. Infortuné jeune homme, dans quel piège êtes-vous tombé ! » Le ton dont il me dit ce peu de mots me frappa vivement ; mais, malgré sa vivacité, cette impression fut bientôt dissipée, et mille autres soins l’effacèrent de mon esprit. Cependant, un soir, je vis dans ma glace, dont elle n’avait pas calculé la perfide position, Clarimonde qui versait une poudre dans la coupe de vin épicé qu’elle avait coutume de préparer après le repas. Je pris la coupe, je feignis d’y porter mes lèvres, et je la posai sur quelque meuble comme pour l’achever plus tard à mon loisir, et, profitant d’un instant où la belle avait le dos tourné, j’en jetai le contenu sous la table ;