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dans une sphère plus intime et lui arracher quelques-unes de ces phrases de galanterie un peu ardente auxquelles on peut à la rigueur donner le sens d’un aveu et d’une déclaration tacite. Mais Fortunio, en poisson rusé, jouait prudemment à l’entour de la nasse et n’y entrait pas ; il répondait évasivement aux questions insidieuses de Musidora, et, au moment où elle croyait le tenir, il lui échappait par une brusque plaisanterie.

Musidora tenta toute espèce de moyens : elle lui fit de fausses confidences pour en obtenir de vraies ; elle l’interrogea sur ses voyages, sur sa vie, sur ses goûts. Fortunio buvait, mangeait, riait, disait un oui ou un non, et lui fuyait entre les doigts, plus fluide et plus mobile que du vif-argent.

« Vraiment, George, dit Musidora en se penchant de son côté, cet homme est comme un hérisson ; on ne sait par où le prendre.

― Prends garde d’embrocher ton cœur à l’un de ses piquants, ma petite reine, répondit George.

― Quelle vie a-t-il donc menée et de quelle argile est-il donc pétri ? fit Musidora inquiète.

― Le diable seul le sait, répliqua George en faisant un geste d’épaules intraduisible.

― Fortunio, Fortunio, s’écria Arabelle en se dressant à l’autre bout de la table, et les pantoufles de ta princesse chinoise, quand me les donneras-tu ?