Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vages, ces bras noueux et velus la ravissaient médiocrement. La délicatesse excessive de son organisation lui rendait ces défauts beaucoup plus sensibles ; un homme, qui n’était qu’un homme pour la robuste Cinthia, lui semblait un sanglier. Musidora, quoiqu’elle eût dix-huit ans, n’était réellement pas une femme, ce n’était pas même une jeune fille, c’était un enfant ; un enfant, il est vrai, aussi corrompu qu’un colonel de dragons, et logeant sous sa frêle enveloppe une malice hyperdiabolique ; avec son air candide, elle aurait dupé des cardinaux et joué sous jambe M. le prince de Talleyrand. Elle avait donc de merveilleux avantages sur toutes ses rivales ; car son indifférence et sa froideur bien connues lui faisaient comme une espèce de virginité que chacun eût été glorieux de lui ravir. Au milieu de sa prostitution, elle avait tout le piquant d’une jeune fille sévèrement gardée ; courtisane, elle avait eu l’art de créer un obstacle et de mettre, pour l’irriter, une barrière au-devant du désir. Cependant elle fut moins heureuse cette fois dans ses tentatives de séduction : malgré toutes ses chatteries et ses gentillesses, Fortunio ne s’occupa d’elle que comme tout homme bien né s’occupe d’une femme placée à côté de lui : il avait toutes ces petites attentions demi-familières que l’on a pour une jolie femme et qui ne tirent point à conséquence.

Musidora faisait tous ses efforts pour l’attirer