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lanelle, ou telle autre musique ; — elles avaient aussi des fleurs qu’elles arrosaient et soignaient elles-mêmes. Leur vie s’écoulait dans ces douces et poétiques occupations de jeune fille ; elles se tenaient dans l’ombre et loin des regards du monde, et cependant le monde s’occupait d’elles. Ni le rossignol, ni la rose ne se peuvent cacher ; leur chant et leur odeur les trahissent toujours. Nos deux cousines étaient à la fois deux rossignols et deux roses.

Il vint des ducs, des princes, pour les demander en mariage ; l’empereur de Trébizonde et le soudan d’Égypte envoyèrent des ambassadeurs pour proposer leur alliance au sire de Maulevrier ; les deux cousines ne se lassaient pas d’être filles et ne voulurent pas en entendre parler. Peut-être avaient-elles senti par un secret instinct que leur mission ici-bas était d’être filles et de chanter, et qu’elles y dérogeraient en faisant autre chose.

Elles étaient venues toutes petites dans ce manoir. La fenêtre de leur chambre donnait sur le parc, et elles avaient été bercées par le chant des oiseaux. À peine se tenaient-elles debout que le vieux Blondiau, ménétrier du sire, avait posé leurs petites mains sur les touches d’ivoire du virginal ; elles n’avaient pas eu d’autre hochet et avaient su chanter avant de parler ; elles chantaient comme les autres respirent : cela était naturel.