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Fortunio paraît avoir vingt-quatre ans tout au plus ; il est de taille moyenne, bien cambré, fin et robuste, l’air doux et résolu, l’épaule large, les extrémités minces, un mélange de grâce et de force d’un effet irrésistible ; ses mouvements sont veloutés comme ceux d’un jeune jaguar, et sous leur nonchalante lenteur on sent une vivacité et une prestesse prodigieuses.

Sa tête offre le type le plus pur de la beauté méridionale ; son caractère est plutôt espagnol que français, plutôt arabe qu’espagnol. Le pinceau ne tracerait pas un ovale plus parfait que celui de sa figure ; son nez mince, légèrement aquilin, d’une arête brusque et comme coupée au ciseau, relève la pureté toute féminine des autres traits du visage et lui donne quelque chose de fier et d’héroïque ; des sourcils d’un noir velouté, se fondant en teintes bleuâtres vers les extrémités, se dessinent fermement au-dessus de longues paupières, qu’à leur couleur bistrée on pourrait croire teintes de k’hol à la manière orientale. Par une bizarrerie charmante, les prunelles de ses yeux étincelants sont d’un bleu céleste, aussi limpide que l’azur d’un lac dans les montagnes ; un imperceptible cercle brun les entoure et fait ressortir leur éclat diamanté ; la bouche a cette rougeur humide et vivace qui accuse une beauté de sang de plus en plus rare. La lèvre inférieure, un peu large, respire toutes les ardeurs de la volupté ; la supérieure, plus fine, plus serrée, ar-