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portant dans de grandes mannes couvertes de quoi ravitailler une armée, étaient arrivés, on ne sait d’où, le soir même du souper. ― Le matin, tout disparut ; les domestiques s’en allèrent comme ils étaient venus : Fortunio sortit et ne revint pas ; il ne resta dans l’hôtel que le vieux concierge pour ouvrir de temps en temps les fenêtres et donner de l’air aux appartements.

― Si Arabelle n’avait bu que de l’eau pendant le repas, je pourrais peut-être croire ce qu’elle dit, interrompit Phébé ; mais tout ceci m’a l’air aussi fou, aussi désordonné que les globules de vin de Champagne qui montent à la surface de mon verre ; elle nous prend pour des enfants et nous débite des contes de fées avec un sérieux déplorable.

― Vraiment, lunatique Phébé, c’est là votre avis ? reprit Arabelle avec ce petit ton sec que les femmes seules savent prendre entre elles ; mon conte est pourtant une histoire beaucoup plus vraie que d’autres.

― Laissez dire Phébé, Arabelle, et continuez, interrompit Musidora, dont la curiosité s’était à la fin éveillée.

― J’ai essayé par tous les moyens, c’est-à-dire par le seul moyen avec lequel on puisse corrompre quelqu’un ou quelque chose, de corrompre le vertueux dragon de ce château enchanté. Je lui donnai beaucoup d’argent ; mais cette consciencieuse canaille, qui avait peut-être