Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous je ne sais quel prétexte de musique. — La pièce qu’on joue est toujours la même, et les vers sont écrits par les plus mauvais poètes qu’on puisse trouver.

« Quand il n’y a pas opéra, l’on se promène avec un cigare à la bouche sur un boulevard qui n’a pas deux cents pas de long, sans ombre, sans fraîcheur, où l’on n’a place pour poser sa botte que sur le pied de ses voisins. ― Ou bien l’on va en soirée. Aller en soirée est un des plus inexplicables plaisirs de l’homme civilisé. ― Voici ce que c’est qu’une soirée. On fait venir quatre cents personnes dans une chambre où cent seraient déjà mal à leur aise ; les hommes sont en noir, comme des croque-morts ; les femmes ont les plus étranges costumes de la terre : des gazes, des rubans, des épis de faux or, le tout valant bien quinze francs. Leurs robes, impitoyablement décolletées, trahissent des misères de contours inimaginables. ― Je ne m’étonne pas que les maris ne soient point jaloux et laissent généralement à d’autres le soin de coucher avec leurs femmes ! Tout le monde est debout, plaqué contre le mur ; les femmes sont assises séparément, et personne ne leur parle, excepté quelques vieux êtres chauves et ventrus ; le piano, exécrable invention, pleurniche piteusement dans un coin, et le piaulement aigu de quelque cantatrice célèbre surmonte, de temps en temps, le bourdonnement sourd de l’assem-