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quelque chose d’un effet plus piquant que la blancheur blonde de ce corps virginal inondé d’épaisses cascatelles de cheveux aussi noirs que ceux de la Nuit, et filant d’un seul jet de la nuque au talon ; les racines de ses cheveux, s’implantant dans la peau dorée du front, formaient comme une espèce de pénombre bleuâtre d’une bizarrerie charmante ; les yeux longs et noirs, légèrement relevés vers les tempes, avaient en regard d’une volupté et d’une langueur inexprimables, et leurs prunelles roulaient d’un coin à l’autre avec un mouvement doux et harmonieux auquel il était impossible de résister. Soudja-Sari était bien nommée : quand elle arrêtait sur vous son œillade veloutée, on se sentait monter au cœur une paresse infinie, un calme plein de fraîcheur et de parfums, je ne sais quoi de joyeusement mélancolique. ― La volonté se dénouait ; tout projet se dissipait comme une fumée, et la seule idée qu’on eût, c’était de rester éternellement couché à ses pieds. Tout semblait inutile et vain, et il ne paraissait pas qu’il y eût autre chose au monde à faire qu’aimer et dormir.

Soudja-Sari avait cependant des passions violentes comme les parfums et les poisons de son pays. Elle était de la race de ces terribles Javanaises, de ces gracieux vampires qui boivent un Européen en trois semaines et le laissent sans une goutte d’or ni de sang, plus aride qu’un citron dont on a fait de la limonade.