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taient aux lèvres : il se souvenait que cette femme avait été possédée par d’autres.

Sa puissance se trouvait en défaut ; il ne pouvait reprendre sur le temps la vie antérieure de Musidora pour la purifier, et cette idée s’attachait à son flanc comme un vautour. Il était si habitué à la passion exclusive, qu’il avait peine à concevoir qu’il y eût au monde un autre homme que lui. Quand quelque chose lui rappelait que d’autres pouvaient avoir été aimés comme il l’était lui-même, il lui prenait des rages diaboliques, et il aurait déchiré des lions en deux, tellement la fureur le transportait. Dans ces moments-là, il se sentait un immense besoin de monter à cheval, de se jeter au milieu d’une foule et d’y faire à grands coups de sabre un hachis de bras, de jambes et de têtes ; il poussait des hurlements et se roulait par terre comme un insensé. C’est dans un de ces accès de rage jalouse qu’il avait mis le feu à la maison de Musidora.

Hors cela, il était impassible comme un vieux Turc ; le tonnerre serait descendu lui allumer sa pipe qu’il n’aurait pas témoigné le moindre étonnement ; il n’avait peur ni de Dieu ni du diable, ni de la mort ni de la vie, et il jouissait du plus beau sang-froid du monde.

Fortunio, captivé par la magicienne Musidora, ne faisait plus que de rares apparitions dans l’Eldorado. ― Il y avait bientôt huit jours qu’il n’y