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ravissants enfantillages dont se compose l’amour ? Comment dire en humble prose ces belles nuits plus blanches que le jour, ces longues extases, ces ravissements profonds, cette volupté poussée jusqu’à la frénésie, ― ce désir infatigable renaissant de ses cendres, comme le phénix, toujours plus avide et plus ardent, sans tomber dans le pathos et dans le galimatias ?

Fortunio s’était laissé pénétrer par la passion de Musidora. L’amour véritable est contagieux comme la peste. Tout railleur et tout sceptique qu’il parût, il n’avait pas cette sécheresse de cœur qu’amènent les jouissances trop précoces et trop faciles. ― Il haïssait plus que la mort les grimaces de la sensibilité, et ne se laissait nullement séduire par les minauderies ; l’hypocrisie d’amour était celle qui le révoltait le plus, cependant il était touché du moindre signe d’affection vraie, et il n’eût pas rudoyé une chiffonnière ou un chien galeux qui l’eussent aimé réellement. Quoique ses immenses richesses lui facilitassent l’accès et la possession de toutes les réalités éclatantes et splendides, la petite fleur bleue de l’amour naïf s’épanouissait doucement dans un coin de son cœur ; un sérail de deux cents femmes et les faveurs de toutes les belles courtisanes du monde ne l’avaient aucunement blasé. Il était plus roué qu’un diplomate octogénaire, et plus candide que Chérubin aux pieds de sa marraine, Il avait mené la vie de don Juan, et se serait promené