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somme, il faisait plus de bien que trente mille hommes vertueux et distributeurs de soupes économiques. Il était bienfaisant à la manière du soleil, qui, sans donner un sou à personne, fait la vie et la richesse du monde.

Comme il n’avait eu aucun précepteur ni aucun maître, il savait beaucoup de choses et les savait parfaitement, les ayant apprises tout seul ; étant placé haut et n’étant arrêté par aucun préjugé de naissance ou de position, il voyait au loin et au large.

S’il avait voulu être empereur ou roi, il l’aurait été ; avec son audace, son intelligence, sa beauté, sa connaissance des hommes et ses puissants moyens de corruption, rien ne lui eût été plus facile. Par nonchalance et par dédain, il laissa les potentats en paix sur le trône, se contentant d’être roi de fait.

Un caractère distinctif de Fortunio, c’est que, pouvant tout, il n’était blasé sur rien ; il n’estimait aucune chose au-dessus de sa valeur, mais il n’avait pas de mépris systématique.

Comme tous ses désirs étaient accomplis presque aussitôt que formés, il n’éprouvait pas cette fatigue que cause la tension de l’âme vers un objet qu’elle ne peut atteindre ; car ce n’est pas la jouissance qui use, mais le désir.

Il aimait le vin, la bonne chère, les chevaux et les femmes, comme s’il n’en avait jamais eu ; tout ce qui était beau, splendide et rayonnant