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l’ouvrage, pour empêcher d’en apercevoir trop clairement la fin.

Fortunio est un jeune seigneur de la plus pure noblesse, aristocrate comme le roi et aussi bon gentilhomme. Le marquis Fortunio, son père, dont la fortune était dérangée, l’a envoyé tout jeune dans l’Inde chez un de ses oncles (pardon de l’oncle), nabab d’une richesse colossale et titanique.

La jeunesse de Fortunio s’est passée à chasser au tigre et à l’éléphant, à se faire porter en palanquin, à boire de l’arack, à mâcher du bétel, ou à regarder, assis sur un tapis de Perse, danser les bibiaderi avec leurs petits pieds chargés de clochettes d’or, et leurs seins enfermés dans des étuis de bois de senteur.

Son oncle, vieillard voluptueux et spirituel, qui avait ses idées particulières sur l’éducation des enfants, avait laissé le caractère de Fortunio se développer en toute liberté, curieux, disait-il, de voir ce que pourrait devenir un enfant à qui l’on ne ferait jamais une observation et qui aurait tous les moyens de mettre sa volonté au jour.

Son inépuisable fortune lui donnait toutes les facilités pour exécuter ce plan d’éducation, et jamais son neveu n’eut de caprice qui ne fût accompli sur-le-champ.

Il ne lui parlait jamais ni morale, ni religion ; il ne lui fit peur ni de Dieu, ni du diable, ni